Au cœur des origines

La déforestation importée, de la théorie à la pratique !

Maud responsable achats Café Vert et relations producteurs

Ingénieure agronome, diplômée SCA, spécialisée sur les thématiques d’approvisionnement responsable, Maud assure le sourcing de Lobodis en café vert et  coordonne les projets d’amélioration des pratiques agricoles sur les plans sociaux et environnementaux avec les acteurs des filières dans 12 pays producteurs. Sélection des terroirs, rencontres avec les producteurs, dégustation des cafés, des missions qu’elle mène avec enthousiasme pour vous offrir la meilleure tasse !

ExpertiseSourcingPérouColombie

Adopté en mai 2023 par le Conseil européen, le règlement sur la déforestation importée en Europe est entré en vigueur le 29 juin. A partir de cette date, les entreprises ont 18 mois pour s’y conformer et ne plus s'approvisionner dans des localisations contribuant à la déforestation. Concernés par ce nouveau réglement, il était important pour Lobodis de confronter les faits à la théorie. Découvrez ci-après mes retours terrains suite aux missions que j'ai menées dernièrement au Pérou et en Colombie.

Avant tout, un peu de théorie ! 

  • Quand on parle de déforestation, on parle de diminution de la superficie forestière au profit d'autres formes d'utilisation des terres (pour l'agriculture par exemple) ou à une réduction significative de la couverture forestière.
  • La déforestation contribue au dérèglement climatique : un rapport du GIEC estime qu’environ 12% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle du globe sont dues à la déforestation.
  • La principale cause de la déforestation est directement liées aux activités humaines : l'agriculture, dont la production agricole et l'élevage représentent 80% de la déforestation mondiale (FAO.2020 - Evaluation des ressources forestières mondiales).

Que dit la réglementation ?

  • Les entreprises ont pour obligation de vérifier et de publier une déclaration de diligence raisonnable attestant que les marchandises qu'elles vendent au sein de l'Union Européenne n'ont pas contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts, dans n'importe quelle région du monde, depuis le 1er janvier 2021.
  • Les entreprises doivent également s'assurer que les produits respectent la législation du pays de production, y compris en ce qui concerne les droits humains et les droits des populations autochtones. Un délai de 18 mois est accordé aux entreprises pour se conformer à ces obligations.

Les produits concernés sont : le bétail, le bois, le cacao, le café, le caoutchouc, le charbon, l'huile de palme, les produits en papier imprimé, le soja, les produits qui ont été fabriqués ou nourris à partir de ces différentes marchandises.

Café et déforestation : mes premiers retours terrain

Je reviens de deux semaines de déplacement au Pérou et en Colombie, au cours desquelles j'avais deux objectifs à savoir : rencontrer mes fournisseurs et étudier le lancement de projets visant à mettre en application les exigences du nouveau règlement européen sur la déforestation importée.

A partir de 2025, pour importer du café sur le marché européen, il faudra démontrer :

  • Une traçabilité jusqu’aux parcelles des agriculteurs (point GPS ou polygone géo-référencé)
  • L’absence de déforestation depuis le 31/12/2020 sur les terrains en production
  • Le droit d’exploitation des agriculteurs sur leurs terres (selon la règlementation du pays).

3 principaux enjeux terrains pour être en conformité avec le nouveau réglement sur la déforestation importée

Les enjeux terrains pour atteindre la mise en conformité sont considérables. J’en ai retenu trois principaux :

  1. L'importance de la pédagogie & et les besoins de maitrise technique
  2. L'impact du contexte économique et de la rentabilité des exploitations familiales
  3. Le coût de mise en application du règlement
Ancienne parcelle de caféiers, où la forêt a repris ses droits. District de Satipo, Pérou.© Steven Bassilieaux Photographe


Pédagogie & Maitrise technique

Ce nouveau règlement est particulièrement complexe. Il demande des connaissances poussées en analyse spatiale, en droit foncier, et analyse de données (entre autres). Autrement dit, tous les acteurs de la filière s’arrachent les cheveux pour trouver des voies d’application pragmatiques et cohérentes, adaptées à chaque pays. Au Pérou, des groupes de travail à l’échelle gouvernementale ont lieu de façon hebdomadaire pour aboutir à des guides applicables par les exportateurs des matières premières concernées (cacao, café, bœuf, caoutchouc..)
Avec notre coopérative partenaire Valle Ubiriki et l’ONG Envol Vert, nous menons un projet pilote de 6 mois pour aboutir à un guide méthodologique utilisable par n’importe quelle coopérative de café au Pérou.
Pour cela, nous allons travailler de façon rapprochée avec un ingénieur agronome spécialisé sur l’analyse cadastrale dans les districts de Satipo et Pichanaqui (province de Chanchamayo). Cet ingénieur travaillera main dans la main avec les techniciens de la coopérative, afin qu’ils puissent maitriser les outils d'analyse spatiale et mettre en place la traçabilité requise par l’Union Européenne.

Détermination des points GPS à relever à partir du plan cadastral de la ferme. District de Satipo, Pérou. © Steven Bassilieaux Photographe

Après plusieurs entretiens avec les agriculteurs intégrés dans ce projet pilote, force a été de constater que ce nouveau règlement est plus que nébuleux pour eux. Il vient s’ajouter à une multitude d’exigences issues de certifications qui se multiplient, et dont les standards évoluent (trop) rapidement, et souvent déconnecté des réalités terrains.
Alors que les exigences environnementales sont de plus en plus fortes, les marges des caféiculteurs sont de nouveau écrasées par un contexte prix catastrophique. Difficile alors de parler environnement, quand les dettes se creusent pour les producteurs.


Contexte économique et rentabilité des exploitations familiales

En deux semaines, j’ai rencontré une vingtaine d’agriculteurs, pour beaucoup passionnés, mais également lassés par la période de récolte qui ne sera encore une fois pas rentable. En effet, après un an et demi d’« euphorie » liée à la hausse du cours du café, la chute des prix depuis fin 2022 étrangle les agriculteurs dont les coûts de production n’ont pas diminué.
Sur ce point, nous avons eu des échanges particulièrement intéressants. J’ai partagé avec eux la situation de notre PME qui est similaire : une hausse des coûts de production à peine couverte par nos prix de vente. Finalement en ce moment, aucun acteur de la chaine ne « gagne ».
Pour le montage de nos deux projets en Colombie et au Pérou, il a donc semblé évident d’ajouter une composante d’appui à l’amélioration des revenus des agriculteurs. Pour cela, financer des infrastructures post-récoltes tels que des ateliers de fermentation ou des séchoirs qualitatifs, permet aux agriculteurs d’améliorer directement leur produit et de toucher un meilleur prix à la vente.

Préparation d'un lot de café de spécialité selon la méthode Honey, District de Pichanaki, Pérou. ©Steven Bassilieaux Photographe


Coût (humain & financier) pour la mise en application de ce règlement

La mise en conformité des filières café aux nouvelles exigences de l’UE va nécessiter beaucoup (beaucoup) de temps, et un appui financier publique et privé. Nos premières estimations évaluent à 6 mois le temps de travail nécessaire pour mettre en œuvre un projet auprès de 20 agriculteurs dans une des zones d’approvisionnement de notre coopérative partenaire au Pérou. Le travail par ferme est de 2 à 3 jours, analyse de données comprise. Et ce n'est que la première étape, car ces analyses seront à ré-actualiser de façon periodique.
Donc : beaucoup de temps, de l’expertise technique, et encore beaucoup d’idées et de solution à tester afin de faire de cette règlementation un levier d’impact réel pour les organisations de producteurs et la protection des forêts en zone tropicale.
 

En conclusion

Un article qui ne fait qu’aborder la partie immergée de l’iceberg de cette nouvelle règlementation, et qui omet mon principal apprentissage de ce déplacement : la puissance des rencontres pour qu’un projet fonctionne.
Trouver des partenaires de confiance avec lesquels l’alignement est quasiment parfait est une chance énorme. Cela peut paraitre anodin, mais sans cette base de confiance, il ne peut y avoir qu’une déperdition d’énergie considérable, et très peu d'impact positif.
Un très grand merci également à Steven Bassilieaux, qui a hissé le déplacement du Pérou au niveau de grand reportage, en apportant par ses photos un regard sensible aux personnes et lieux extraordinaires que nous avons eu la chance de découvrir.  
 

Visite de la finca de la famille Rojas, avec César et Greymer techniciens de la coopérative Valle Ubiriki. District de Satipo, Pérou. © Steven Bassilieaux Photographe