
Flambée historique des cours du café : crise passagère ou nouveau référentiel ?
Nouvelle flambée historique des cours du café vert
Pour rappel, avant d’être torréfié, le café est dit « vert » pour désigner sa matière première. Le café vert est côté aux bourses de New-York (Arabica) et de Londres (Robusta). Son prix n’est donc pas fixe, il varie au cours du temps en fonction du marché.
En un an seulement, de septembre 2023 à décembre 2024, les cours du café ont plus que doublé. En décembre, le cours de l’Arabica a frôlé les 350 centimes de dollars par livre (ct$/lb), soit environ 7,40 €/kg, tandis que le cours de référence1 était en-dessous des 150 ct$/lb, soit environ 3 €/kg. Et même lors de l’épidémie de Covid-19, l’Arabica était resté sous la barre des 5,40 €/kg. Fin 2024, le café coûtait en moyenne 2 €/kg de plus qu’en période Covid !
Le Robusta quant à lui n’était jamais passé au-dessus des 2 630 $/tonne, soit 2,45 €/kg, et n’a jamais dépassé les 1,80 €/kg depuis 2017. En novembre et décembre 2024, il a atteint des records historiques, dépassant les 5 500 $/T, soit environ 5,20 €/kg, donc presque 3 fois plus que son niveau habituel.
Outre l’atteinte de niveaux historiques, les cours sont extrêmement volatiles et sensibles. L’Arabica et le Robusta ont vu leur prix augmenter de plus de 30% en des laps de temps très courts, parfois en moins de 20 jours, situation exceptionnelle.

Les principales raisons de cette hausse du cours du café vert
LE MANQUE D'OFFRE DE CAFÉ
En 2024, les plus grands producteurs de café au monde, Brésil et Vietnam, ont connu des conditions météorologiques défavorables à la production caféière.
Au Brésil, le climat a été très sec et chaud au moment clef de la maturation du café : les cerises ont donné des grains de plus petite taille, entraînant une diminution de nombre de sacs exportables. La sécheresse s’est prolongée jusqu’à septembre, et malgré un retour soulageant des pluies en octobre, 10 à 20% de baisse de rendements ont été estimés pour 2025*.
Au Vietnam, deuxième plus gros producteur mondial de café après le Brésil, le climat a été très sec début 2024, tandis qu’à la fin de l’année, le pays a subi d’importantes inondations et tempêtes tropicales. Ces épisodes climatiques ont accentué les craintes d’une baisse d’offre de Robusta, ajoutant des tensions sur le marché.
De manière générale, les stocks de café commercialisés restent bas et se raréfient, en première ligne les meilleures qualités de grains…
A cela s’ajoutent les tensions internationales et des problèmes logistiques majeurs. Pour les cafés provenant d’Afrique de l’Est et d’Asie, en direction de l’Europe, la crise en Mer Rouge a entravé le passage des navires commerciaux par le Canal de Suez, les obligeant à contourner l’Afrique par sa pointe Sud. Dans l’Atlantique, la forte activité commerciale du Brésil a entraîné un engorgement du port de Santos, un des principaux points de départ du café du pays. Ces deux points de blocage ont généré d’importants retards de livraison.
Enfin, la réglementation européenne sur la déforestation importée (EUDR) a également suscité beaucoup d’inquiétudes en Europe, en raison de son niveau d’exigence et des incertitudes sur la date de son entrée en vigueur.
LES TENSIONS FINANCIÈRES ET SPÉCULATIONS
La hausse du café est entretenue par les risques financiers pris par certains intermédiaires de la chaîne, qui font le pont entre producteurs et torréfacteurs. Sans entrer dans le détail, ces acteurs achètent et revendent des quantités importantes de café : dans cette configuration de marché en hausse, ils doivent disposer de suffisamment de liquidités pour effectuer leurs transactions. Plus la hausse du cours est forte, plus le risque d’incapacité financière se dessine. Ceci, couplé aux problèmes de disponibilité de café, génère beaucoup de tensions à l’origine d’une spéculation extrêmement forte, qui aggrave la volatilité du marché.

Quelles sont les conséquences de cette hausse du cours du café sur les acteurs de la chaîne ?
LES TORRÉFACTEURS SIDÉRÉS FACE À CETTE FLAMBÉE
Les torréfacteurs ont en moyenne payé leurs cafés 1,5 à 2 fois plus chers en 2024, avec parfois des problèmes d’approvisionnement (retards de livraison, indisponibilité de café, etc.). Pour faire face à ces difficultés, plusieurs stratégies sont possibles pour ne pas trop impacter les consommateurs : adapter les recettes dans le cas de mélanges, anticiper au maximum les achats, se stocker, diminuer la qualité de certains cafés, se passer des certifications…
LOBODIS
Chez Lobodis, les stratégies d’adaptation sont assez limitées : nous vendons principalement des cafés en pure origine (peu de flexibilité en cas de problème d’offre), nous sommes engagés sur des qualités élevées, produites selon de bonnes pratiques agricoles, auprès de coopératives partenaires.
Toutefois, malgré la hausse accrue du coût du café, Lobodis s’engage à maintenir son process traçabilité, à être proactif et vigilant dans la lutte contre la déforestation importée, et surtout à tenir ses engagements sociétaux, qui constituent le cœur de son activité.
Dans cette situation inédite, les adaptations envisagées par Lobodis remettent en partie en question nos habitudes d’achat, sans en changer l’intention et la visée : rémunérer au plus justement possible les producteurs familiaux, garantir la qualité des cafés, et soutenir le développement social et économique de nos coopératives partenaires.
LES PRODUCTEURS ET COOPÉRATIVES SONT-ILS VRAIMENT LES GRANDS GAGNANTS DE L'HISTOIRE ?
A première vue, cette hausse de prix est plutôt favorable à l’amont de la chaîne qui accède enfin à des prix plus rémunérateurs2. Mais disons-le, il était temps ! Toutefois, cela ne s’accompagne pas forcément d’un meilleur niveau de vie, en voici quelques raisons :
- Bien que les prix du café aient augmenté, ceux des intrants (fertilisants, pesticides, semences, …) et surtout de la main d’œuvre, ont suivi la même tendance. Ainsi, les producteurs n’ont pas systématiquement tiré de meilleurs revenus de la vente du café.
- De plus en plus de régions caféières sont touchées par les effets du changement climatique, à l’origine de baisses de rendements et de qualités, soit une moins bonne rémunération par unité de café vendu.
- Certains acheteurs indépendants font concurrence aux coopératives en proposant aux producteurs un paiement très attractif et immédiat. Cette pratique impacte les coopératives qui perdent alors des associés. Certes, elles paient en différé dans le temps, mais elles encouragent les bonnes qualités et bonnes pratiques (primes), assurent la traçabilité, aident les producteurs à financer leur prochaine récolte, etc. Avec la hausse du marché, les producteurs ont tendance à aller vers le plus gros gain, plutôt que de penser long terme…
- Les coopératives ont aussi du mal à vendre : si elles se sont trop engagées à vendre, mais qu’elles n’ont pas assez de stock de café (car les producteurs ont vendu aux intermédiaires), elles ne peuvent honorer leur vente, et se retrouvent en difficulté financière. De plus avec la hausse des prix, de nombreux acheteurs se désengagent des certifications, donc paient le café sans prime. Or pour la coopérative, la certification représente un coût important.
- Enfin, l’EUDR a défavorisé tous les pays qui n’avaient pas encore terminé leur mise en conformité à la réglementation (collecte des données GPS et polygones) : raréfaction des débouchés.

En conclusion
A la question « sommes-nous en train d’assister à une transition de la filière café ? », j’ai envie de répondre « oui ».
Oui, le café va devenir plus rare, oui il va devenir plus cher, et oui, de nombreux acteurs vont - et commencent déjà à – en subir les conséquences. Le secteur du café, tout comme ceux du cacao et du thé, est polarisé entre des pays consommateurs de plus en plus exigeants (qualité, respect de l’environnement, prix accessible), et des pays producteurs qui dépendent entièrement de sa commercialisation pour survivre, alors même que son prix est dicté par un marché dérégulé, et de plus en plus aléatoire au vu des tensions géopolitiques et du dérèglement climatique. La hausse de 2024 met en lumière les failles associées à cette polarisation du café.
Il me semble important de considérer cette période comme « lanceur d’alerte » : les producteurs doivent sécuriser et diversifier leurs productions, les intermédiaires doivent limiter leurs prises de risque, les torréfacteurs doivent être flexibles et trouver des alternatives, les consommateurs doivent accepter de nouveaux prix et nouvelles manières de consommer… Sans une prise de conscience généralisée, ces périodes de forte volatilité ne cesseront de nous surprendre, et risquent d’éliminer progressivement les acteurs les moins résilients, concentrant la filière aux mains d’un petit nombre.

[1] moyenne entre 2017 et 2021 • [2] Fin 2024, le prix du café est 1,5 fois supérieur au prix minimum Fairtrade • Crédit photos : © S. Basilieaux / © Lobodis
* Sources : Matinale Café – Maison Jobin & Cie • Coffee Prices – Barchart : https://www.barchart.com/futures/quotes/KCH25/futures-prices?viewName=main • Rapport de StoneX : https://www.stonex.com/en/thought-leadership/stonex-releases-brazils-1st-coffee-crop-estimate-2025-26/ • Rapport de Bloomberg sur les estimations de baisse de récolte par Volcafe : https://www.bloomberg.com/news/articles/2024-12-09/volcafe-slashes-brazil-arabica-coffee-outlook-on-severe-drought