
De la plantation à la tasse : les enjeux de l'égalité des genres dans la filière café
Des rôles genrés de l'amont à l'aval de la chaîne
DES DISPARITÉS TRÈS MARQUÉES DANS LA PRODUCTION DE CAFÉ
Selon la FAO, 70 à 80% du café produit dans le monde provient de l’agriculture familiale, qui repose sur des exploitations de petite taille, dans lesquelles les membres d’une famille travaillent ensemble et sont étroitement liés au système de production [2]. Dans la plupart des communautés caféières, on observe des schémas de gestion familiale assez similaires, composés d’un couple homme – femme, et de leurs enfants, et/ou d’autres membres de la famille.
Même dans les cas où l’homme et la femme travaillent à temps égal pour la génération de valeur dans le système agricole, il est très fréquent que le nom de la femme soit passé sous silence lorsqu’il s’agit de référencer un membre comme associé au sein d’une coopérative ou autre organisation [3]. D’après Max Havelaar France, sur 845 000 personnes certifiées Fairtrade, seulement ¼ sont des femmes [4]. Cela signifie que dans 75% des cas, ce sont les hommes qui enregistrent leur nom en tant que vendeur du café certifié. Ces constats sont révélateurs du caractère genré de la filière café, en particulier sur les plans suivants :
- La répartition des tâches : les femmes sont souvent assignées à des tâches domestiques, ainsi qu’à des activités manuelles, répétitives et de précision, liées à la préparation et à la récolte du café (séchage, tri, traitement), tandis que la gestion technique et économique des caféiers et des terres est davantage associée aux hommes.
- L’accès aux ressources : les femmes peuvent faire l’objet de discriminations pour l’accès à la terre, au financement [5] ou aux formations. Elles détiennent rarement la propriété de la terre cultivée, ce qui limite leur autonomie économique.
Ces différenciations sont liés à des verrous sociaux, économiques voire juridiques, qui concernent principalement l’absence de droits d’accès à l’éduction pour tous, aux formations pour atteindre des qualifications spécifiques, ou encore à l’autonomie financière [6].


DES DÉFIS À RELEVER JUSQU'À LA COMMERCIALISATION DU CAFÉ
Ces disparités se retrouvent également dans les métiers d’import-export, qui requièrent une certaine habilité en négociation pour les opérations d’achat-vente, mais aussi pour accéder aux financements. C’est un milieu traditionnellement géré par les hommes, et pour des raisons culturelles ou éducationnelles, les femmes se mettent parfois elles-mêmes des barrières lorsqu’il s’agit de candidater à ce type de poste [7].
Le milieu de la transformation du café est lui aussi concerné par ces enjeux, principalement aux postes d’achats de matière première et de commercialisation, où le recours au pouvoir de négociation est un facteur différenciant.
Ces observations proviennent à la fois de discussions avec mes partenaires, mais aussi de mes perceptions en allant sur le terrain - les femmes avec lesquelles je collabore dans les opérations d’achat et de Sourcing du café se comptent sur les doigts de la main. Notons par ailleurs que l'univers du café est relativement restreint, composé de passionnés, parfois en poste depuis plusieurs dizaines d’années. La question de la relève générationnelle laisse entrevoir la possibilité d’un rééquilibrage et d’une répartition plus équitable des rôles dans la filière.

Des opportunités pour une meilleure inclusion des femmes dans la filière café
Des initiatives visant à promouvoir une plus grande égalité de genre émergent progressivement, que ce soit en interne dans les structures concernées, ou par le biais d’acteurs externes (ONG, organismes de certifications, entreprises de transformation, etc.)[8]. Ces mesures prennent forme dans des domaines variés, tels que l'éducation, le soutien à l’intégration et au leadership des femmes, ou encore par le déploiement de comités de parole et d’écoute qui leur donnent plus de pouvoir décisionnel.
À L'AMONT DE LA CHAÎNE, LES FEMMES PRENNENT LE LEADERSHIP DES COOPÉRATIVES
A partir des années 1980 et 1990, l'émergence de projets de développement visant à promouvoir l'inclusion et l'autonomisation des femmes dans l'agriculture ont commencé à voir le jour. Ainsi au Guatemala, Honduras, Pérou, Kenya ou encore en Éthiopie, de plus en plus de femmes prenaient des rôles de leadership au sein des coopératives au fur et à mesure que l'égalité des sexes devenait une priorité dans les politiques de développement.
La coopérative UCA San Juan del Rio Coco, partenaire de Lobodis depuis 2020, en est un bel exemple. Cette structure est dirigée depuis 2006 par des femmes ; d'abord par Ninfa González puis par Griselda Jarquin. Sous leur direction, la coopérative a non seulement amélioré sa production et ses conditions économiques, mais a aussi joué un rôle important dans la promotion des droits des femmes dans l'agriculture et la gestion des coopératives. Depuis quelques mois, c’est une femme qui a pris la direction de la coopérative Valle Ubiriki, partenaire clef de Lobodis au Pérou.
DES PROJETS POUR ENCOURAGER LA VENTE DE CAFÉS DE FEMMES
Lorsque des initiatives sont prises pour renforcer la gouvernance et l’insertion des femmes dans les processus décisionnels, il est courant que les coopératives valorisent la démarche sous la dénomination commerciale de « cafés de femmes ». Il n’y a pas de certification ni de cahier des charges qui encadre cette démarche, toutefois cela se concrétise par la constitution de lots (quelques sacs à quelques tonnes) de café, uniquement produit par des femmes.
Bien que la mention « cafés de femmes » puisse être accusée d’accentuer la différenciation genrée dans la filière café, elle est un marqueur essentiel de la transition et de l’évolution des mentalités, valorisant pour l’émancipation des femmes au sein des communautés agricoles.
VENTE SOUS LE LABEL "CON MANOS DE MUJERES"
La certification "Con Manos de Mujeres"[9], littéralement "Avec les Mains des Femmes", est une initiative qui reconnait et soutient les femmes dans la filière café. Elle a été créée pour promouvoir leur autonomisation, en particulier dans les régions rurales d'Amérique Latine.
Cette certification repose sur des objectifs fondamentaux :
- Valoriser les compétences des femmes, leur savoir-faire, leur rôle dans la production de café de qualité et à prix équitable,
- Promouvoir l'égalité des genres, via l’accès à de meilleures pratiques agricoles et des opportunités économiques.
Le café certifié « Con Manos de Mujeres » doit répondre à des critères stricts de qualité, être 100% tracé jusqu’aux productrices, et avoir été cultivé selon des pratiques durables. Il fait l’objet de contrôles et d’audits.

Lobodis prend part aux défis d’équité de genre à relever
Via ses achats et ses relations avec les organisations de producteurs, Lobodis a la possibilité d’encourager et de défendre l’égalité des chances, l’intégration et la reconnaissance des femmes dans la production caféière.
S'ENGAGER AUPRÈS DE COOPÉRATIVES MOTRICES D'UNE FILIÈRE ÉGALITAIRE
Lobodis soutient l’émancipation des femmes et leur intégration dans le processus de production en achetant des lots de «cafés de femmes». En 2021 et 2022, nous avons acheté de tels lots auprès de deux coopératives partenaires au Nicaragua: 7 tonnes auprès de Coomcafé, et 19 tonnes auprès d’UCA Juan del Rio Coco. En 2024, nous avons renouvelé cette démarche en achetant 17 tonnes auprès de Coomcafé. Ces structures sont toutes deux engagées à valoriser les femmes travaillant au sein de leur coopérative en les intégrant davantage dans les comités de direction et en ne faisant aucune discrimination quant à l’accès aux ressources (matérielles et financières).

FINANCER DES PROJETS POUR ACCOMPAGNER LA TRANSITION
Entre 2024 et 2026, Lobodis finance un projet au Honduras, auprès de la coopérative Capucas Cocafcal, qui compte 128 productrices de café certifiées "Con Manos de Mujeres", sur un total de 263 productrices et environ 730 producteurs. Début 2025, une première partie du financement a été utilisée pour :
- Former et conscientiser des groupes mixtes sur les principes d'équité entre les sexes, développer leurs capacités de leadership et leur pouvoir décisionnel.
- Former, apporter des conseils agronomiques auprès de 10 caféicultrices pour autonomiser une gestion durable et économiquement viable de leur exploitation (sélection variétale, rénovation de plants, étagement des parcelles, etc.).
- Encourager la création de réseaux de soutien entre les femmes productrices de café afin qu'elles puissent partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques.
Nous sommes fiers de soutenir ce type de partenariat, et avons pour souhait de renforcer nos actions dans le sens d’une plus grande égalité des genres tout au long de la filière.
EN CONCLUSION
De manière générale, les filières agricoles sont encore très genrés, et les postes techniques et responsabilisants qui impliquent des facultés de négociation (trading) sont encore largement occupés par des hommes. Le marqueur le plus flagrant de ces disparités reste l’amont agricole, où les questions d’accès au foncier et aux capitaux sont extrêmement discriminantes, souvent pour des raisons éducationnelles, culturelles, voire religieuses.
Les défis à relever pour plus d’égalité dans le secteur caféier restent importants. L’inclusion des femmes étant un sujet de société dépassant largement le secteur agricole, Lobodis s’engage à considérer encore davantage ces enjeux dans son approche partenariale et dans les projets d’accompagnement à construire à l’avenir.
Photos © Steven Bassilieaux - Sources : 1 • https://www.fao.org/policy-support/policy-themes/gender/fao-policy-series--gender/fr?utm_source=chatgpt.com / 2 • https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/agriculture-familiale / 3 • https://www.fairtrade.net/maxhavelaarfrance-fr/produits-et-fillieres/filieres-fairtrade/cafe-equitable.html?utm_source=chatgpt.com / 4 • https://www.fairtrade.net/be-fr/Pourquoi-Fairtrade/pourquoi-nous-le-faisons/egalite-des-genres.html / 5 • https://www.fairtrade.net/be-fr/Pourquoi-Fairtrade/pourquoi-nous-le-faisons/egalite-des-genres.html / 6 • https://www.ico.org/documents/cy2017-18/icc-122-11e-gender-equality.pdf / 7 • A ce sujet, une lecture inspirante que l’on m’avait recommandée : « Lean In » ou « En avant toutes », succès de Sheryl Sandberg (directrice des opérations de Facebook), qui a relancé le débat sur l’égalité homme-femme, et propose des conseils visant à aider les femmes à atteindre leurs objectifs et à dépasser les stéréotypes genrés dans le monde du travail - https://leanin.org/about/fr / 8 • Fairtrade - Gender in Coffee / 9 • https://mayacert.com/documents/con-manos-de-mujer/Introducci%C3%B3n%20al%20C%C3%B3digo%20Con%20Manos%20de%20Mujer.pdf